d’après Isabelle Vieira (N84) – article original
“Il faut que la profession vétérinaire prenne le temps d’un tournant culturel.”
Une prise de conscience insuffisante
Dans notre société moderne, une nouvelle conscience émerge concernant notre relation avec les animaux. Comme l’affirme le philosophe et éthologue Dominique Lestel, « les défenseurs des animaux ne sont pas des hypersensibles larmoyants, mais au contraire, les pionniers d’une nouvelle conscience ». Cependant, cette évolution des mentalités peine à se traduire par des actions concrètes en faveur de la sensibilité animale, particulièrement en ce qui concerne le chien, notre plus proche compagnon.
La situation préoccupante des chiens en France
Plusieurs constats alarmants peuvent être dressés concernant l’espèce Canis familiaris en France. Tout d’abord, on observe une diminution du nombre de chiens, et ce malgré les bénéfices scientifiquement prouvés de leur présence sur la santé humaine, le développement personnel et l’efficacité au travail.
“ j’entends toujours autant d’erreurs et de contresens éthologiques et je constate les effets délétères des mauvais conseils dont sont victimes les propriétaires de chiens.”
Par ailleurs, les méthodes éducatives traditionnelles, fondées sur des principes de subordination, évoluent trop lentement. Cette stagnation persiste malgré l’abondance d’études scientifiques sur le bien-être animal et une reconnaissance croissante de l’importance des émotions dans le monde animal.
Enfin, le nombre d’abandons et de morsures reste préoccupant, en dépit des améliorations notables dans la gestion des refuges et des nombreuses initiatives de formation (Seevad, Dog Revolution, Animal Friendly, entre autres). Des dispositifs pédagogiques innovants, des applications numériques et des programmes destinés à l’enseignement de la communication animale auprès des enfants (comme Peccram) ont pourtant vu le jour, mais leur impact reste limité.
Le rôle crucial des vétérinaires
Face à cette situation, les vétérinaires ont un rôle déterminant à jouer. Ils constituent les premiers interlocuteurs des nouveaux propriétaires de chiots et bénéficient d’une forte crédibilité concernant leurs compétences médicales. Leur caution scientifique représente un levier important pour faire évoluer les pratiques.
Pourtant, une enquête OpinionWay révèle que, bien que le vétérinaire soit considéré comme le référent principal en matière de santé animale, il est souvent absent des débats sur la relation homme-animal. Cette situation soulève une question essentielle : les vétérinaires sont-ils suffisamment attentifs à leur image de protecteurs des animaux ? Une réflexion collective s’impose, au-delà des positions individuelles.
La violence ordinaire involontaire envers les chiens
L’expérience de terrain, après vingt années de pratique dans le domaine du comportement animal et des milliers d’évaluations de chiens, révèle la persistance de nombreuses erreurs et contresens éthologiques. Les propriétaires de chiens sont souvent victimes de mauvais conseils qui conduisent à des pratiques préjudiciables pour leurs animaux.
Parmi ces pratiques problématiques figurent :
- L’utilisation de colliers étrangleurs
- Les chiens jamais autorisés à se déplacer librement
- Les chiens laissés seuls pendant de longues périodes (jusqu’à dix heures)
- L’isolement social complet vis-à-vis de leurs congénères
- Les corrections physiques lorsque le chien flaire le sol
- Le confinement permanent dans un jardin
- Les renvois secs au panier
Ces situations banales constituent une forme de « violence ordinaire involontaire » infligée aux chiens, sans que les humains aient réellement conscience de leurs effets néfastes durables sur la santé mentale de l’animal. Ces pratiques contreviennent aux cinq libertés fondamentales qui définissent le bien-être animal.
“Soyons capables d’envoyer unanimement un carton rouge aux clubs de dressage encore très répandus qui utilisent des colliers étrangleurs, à pics, électriques, anti-aboiements, anti-fugue, car certains chiens sont définitivement meurtris!”
Un retard français dans les pratiques de bien-être canin
En comparaison avec d’autres pays développés, la France accuse un retard significatif dans sa façon de traiter les chiens. À l’étranger, les chiens peuvent souvent :
- Se promener librement dans des parcs publics dédiés
- Fréquenter des centres de loisirs canins
- Se promener et jouer en groupe
- Bénéficier d’activités éducatives positives utilisant des méthodes modernes (clickers, récompenses alimentaires)
Ces approches répondent simplement aux besoins naturels des chiens. En France, les pratiques éducatives semblent figées dans un autre âge, avec des réponses toujours plus répressives, ce qui contribue probablement au nombre record de morsures constaté.
Cette situation problématique s’explique en partie par le statut particulier du chien, espèce domestique par excellence, qui vit au sein du foyer humain. Cette proximité, qui pourrait favoriser une meilleure compréhension, semble paradoxalement entretenir des malentendus sur les besoins réels de l’animal.